- JEAN DAMASCÈNE
- JEAN DAMASCÈNEOn voit souvent dans saint Jean Damascène l’auteur de la première Somme théologique. Certes la Source de la connaissance a servi de manuel en Orient pendant le Moyen Âge byzantin, cependant que, trois fois traduite en latin du XIe au XIIIe siècle, elle facilitait, par son usage du vocabulaire aristotélicien et son ébauche de systématisation, la tâche des grands scolastiques. Toutefois, tandis qu’en Occident le Damascène était lu dans la perspective d’une théologie des concepts, en Orient son œuvre marquait le passage de l’investigation intellectuelle à l’expérience ecclésiale. Elle s’inscrit entre l’adoration du Dieu inconnaissable, aux premières pages de l’«Exposé de la foi», et la célébration du Dieu participable par la beauté de l’hymne et de l’icône et par une spiritualité de transfiguration.Un Arabe chrétienLe destin du Damascène incarne celui de l’orthodoxie arabe, humiliée par l’Islam, contrainte à s’intérioriser – par là même capable de défendre l’essentiel de la foi contre les prétentions césaro-papistes des empereurs byzantins iconoclastes. Né à Damas vers 650, Jean portait aussi le nom arabe de Mansour comme son grand-père qui, haut fonctionnaire impérial, avait signé en 635 la capitulation de la ville devant l’envahisseur musulman. Le calife ayant laissé en place l’appareil d’État byzantin, Jean devint responsable de l’administration locale des finances, et donc le protecteur de ses coreligionnaires dotés d’une véritable autonomie interne comme «nation chrétienne» (millet ), mais soumis au tribut.Cet administrateur est également un savant et un poète qui, bilingue, prend en grec la défense de l’art chrétien, menacé à la fois par l’exemple de l’Islam et le premier iconoclasme byzantin, et compose des hymnes liturgiques vigoureusement trinitaires, courageux témoignage face au strict monothéisme du conquérant.Bientôt un nouveau califie, ‘Abd el-Malik, amorce l’islamisation du corps des fonctionnaires et Jean, peut-être discrédité aussi aux yeux du souverain, se retire au monastère de Saint-Sabbas, près de Jérusalem. Il reçoit à contrecœur l’ordination sacerdotale et se consacre désormais à la prière, à la prédication, à l’élaboration de ses œuvres théologiques. Il meurt centenaire à Saint-Sabbas, peu avant le concile iconoclaste de 754, qui l’anathématise. Réhabilité par le septième Concile œcuménique (787) qui rétablit et explicite le culte des images, Jean est honoré comme un saint par les orthodoxes et par les catholiques et bientôt surnommé Chrysorrhoas , «Fleuve d’or», «à cause des dons de l’intelligence, éclatants comme l’or, qui brillaient dans sa doctrine comme dans sa vie». En 1890, Léon XIII le placera au rang des docteurs de l’Église.La synthèse de la christologie byzantineLa pensée de saint Jean Damascène constitue la vivante synthèse de la christologie des Pères grecs et surtout des élaborations proprement byzantines provoquées par les controverses qui, du Ve au VIIe siècle, ont suivi le concile de Chalcédoine. En particulier, le Damascène assure une transmission quasi pédagogique à l’Orient chrétien de la pensée profonde mais difficile de Maxime le Confesseur.Son œuvre capitale, la Source de la connaissance ( 笠笠兀塚兀 精兀﨟 塚益諸靖﨎諸﨟), comporte une brève «Dialectique» qui achève la métamorphose chrétienne du vocabulaire philosophique grec, surtout d’Aristote, et donne les définitions désormais classiques des antinomies trinitaires et christologiques. Suit une «Histoire des hérésies», sans grande originalité, sinon pour l’Islam, défini comme une hérésie chrétienne. La troisième partie, fondamentale, est l’«Exposé de la foi orthodoxe».La christologie du Damascène systématise la «distinction-identité», élaborée d’abord par les Cappadociens en théologie trinitaire, de l’essence ousia et de l’hypostase (la «personne», mais dans un sens non individuel). «Source d’existence» méta-ontologique, l’hypostase fait exister à l’intérieur d’elle-même l’essence. Selon la trouvaille terminologique de Léonce de Byzance, il n’est de nature qu’«enhypostasiée»: lorsqu’elle l’est par plusieurs hypostases – dans la Trinité ou dans la consubstantialité du Christ et de tous les hommes –, l’«essence» désigne leur unité dans la diversité, leur communion à la fois personnelle et ontologique. Ainsi se précise, dans une direction différente de ce que Heidegger nomme l’«onto-théologie» occidentale, une ontologie du mystère et de la communion, incluse dans le sans-fond de l’hypostase.Archétype de l’humanité, le Fils – Parole et Image du Père – transcende par amour sa propre transcendance. Il «enhypostasie» l’humanité, «souffre et meurt dans la chair» pour abolir, dans son corps ressuscité, toute séparation entre Dieu et l’homme. Non seulement il restaure notre nature, mais s’unit à chacun de nous par une communion indicible, où le Damascène discerne une tendresse «paternelle»: «Tout entier, il m’assume tout entier. Tout entier, il s’unit à moi tout entier, afin de me donner le salut à moi tout entier.» La nature humaine, créée comme un dynamisme de déification, s’accomplit en lui, l’Adam définitif: car l’«union hypostatique» du divin et de l’humain permet, par la «communication des idiomes» (la «périchorèse»), un véritable échange vital, la transfiguration de l’humanité par les énergies divines. L’homme reçoit dans les mystères de l’Église la «gloire du corps» et la vraie liberté, qui n’est plus le libre arbitre qui se refuse et tâtonne (la volonté «gnomique» de saint Maxime), mais l’adhésion pleinement «naturelle» à l’amour.De la théologie à l’expérience ecclésialeDans son Homélie sur la Transfiguration qui annonce la spiritualité du Moyen Âge byzantin, le Damascène souligne que l’homme est appelé à une déification intégrale par la participation au Christ transfiguré, dont «le corps terrestre rayonne de la splendeur divine», dont «le corps mortel verse la gloire de la divinité».Cette transfiguration s’offre à tous dans l’expérience liturgique. L’icône fait partie intégrante de celle-ci et Jean de Damas a écrit trois traités pour défendre les images sacrées. L’icône des icônes – celle du Christ – est justifiée par l’Incarnation, où l’Invisible «devient visible pour nous en participant à la chair et au sang» et qui fait rayonner les énergies divines dans la profondeur de la matière: «Je ne vénère pas la matière, mais je vénère le Créateur de la matière, qui pour moi est devenu matière [...] et qui me sauve par la matière.» D’autre part, Jean montre que le Christ, bien qu’il assume, dans son hypostase divine, l’humanité tout entière, a aussi une individualité humaine représentable. Ainsi s’amorce, face aux iconoclastes, la reprise par la théologie orthodoxe de la pensée antiochienne, centrée sur l’humanité historique de Jésus.Jean Damascène, enfin, a assuré l’inscription dans le chant liturgique de la théologie des Pères grecs, dont il dégage le mouvement profond de célébration. L’alliance contre l’iconoclasme des moines de Saint-Sabbas et de ceux de Stoudion, à Constantinople, a fait connaître ces compositions dans la capitale, de sorte qu’elles sont devenues un élément constitutif de la liturgie dite byzantine. Il s’agit surtout des «canons», hymnes métriques et rythmiques comportant chacune neuf odes (dont les grandes odes scripturaires sont le point de départ) et dégageant, aux vigiles d’une fête, la signification spirituelle de celle-ci. Le plus célèbre est le canon pascal, véritable chant de triomphe: «Peuple, rayonnons de joie – Pâque du Seigneur, Pâque! – De la mort jusqu’à la vie – Le Christ-Dieu nous fait passer – Et tout s’emplit de lumière – Le ciel, la terre et l’enfer.»Jean Damascène(saint) (fin du VIIe s. - v. 749) docteur de l'église, adversaire des iconoclastes. Son princ. ouvrage, la Source de la connaissance, laisse pressentir la scolastique médiévale.
Encyclopédie Universelle. 2012.